À propos

Josée Thibeault

Malgré ma nature nomade, j’ai fait d’Edmonton mon pied-à-terre il y a plus de vingt ans. C’est dans cette ville mal-aimée et méconnue que je pratique mon métier d’artiste en tant qu’autrice, metteuse en scène et directrice artistique. Dans les milieux du théâtre, de la poésie, de la musique et des médias numériques, je crée dans ma langue maternelle, le français. Et surtout, j’arpente ma ville à pied, telle une grande marcheuse devant l’Éternel, pour y découvrir les petits trésors cachés qui font de la capitale albertaine le secret le mieux gardé au pays.

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Tous les Edmontoniens amoureux de leur ville vous le diront : le plus grand joyau de la capitale, c’est sa vallée. Si les Calgaréens ont les montagnes Rocheuses à moins d’une heure de route, à Edmonton, les citadins peuvent plonger dans la nature… au beau milieu de leur ville. En effet, avec ses 160 kilomètres de pistes cyclables et pédestres entretenues à l’année longue, avec ses 20 parcs, ses nombreux sites de pique-nique, ses patinoires et ses parcours de vélo de montagne empruntés par les plus célèbres compétitions internationales, la « River Valley » est le plus grand parc urbain du Canada! Tout au long de la rivière Saskatchewan Nord, les zones de nature sont fréquentées, peu importe la saison, par les familles, les membres des clubs de sport, les solitaires en quête de silence, et par tous ceux qui, comme moi, aiment une bonne balade.

Et au cœur de cette vallée, au cœur de ma ville, se niche un de mes endroits préférés : le ravin Mill Creek.

Situé au sud de la rivière, entouré des quartiers Ritchie, King Edward, Strathcona et Bonnie Doon (notre « French Quarter »), le ravin Mill Creek est la cour-arrière des jeunes et moins jeunes de la ville depuis des générations. Mais il n’en fut pas toujours ainsi.

Bien avant qu’on l’appelle Mill Creek, le ravin était surnommé « Stony Creek » par les peuples autochtones habitant dans la région. Le ravin était alors un lieu propice à la cueillette, la pêche et la chasse. Ce n’est qu’à partir de la fin du 19ème siècle que le nom de Mill Creek (ou Ruisseau du Moulin) est passé à l’usage, en référence au moulin à farine du trappeur métis William Bird, bâti en 1871 au sud de Scona Hill.

Ce premier moulin allait, d’une certaine façon, lancer la période industrielle qu’allait subir le ravin jusqu’aux années 1980. Moulins à farine, usines de briques, mines de charbon, usines de transformation de la viande, dépotoirs et incinérateur à déchets… Le ravin et son ruisseau offraient en effet un endroit pratique pour les industrialistes désirant développer les produits et services en grande demande par les habitants d’une ville qui ne cessait de grandir.

Le ravin Mill Creek fut également le berceau d’une ligne de chemin de fer longtemps attendue par les gens de la place. Ouverte aux usagers en 1902, la Edmonton, Yukon & Pacific Railway Line avait pour but, comme son nom l’indique, de relier la ville au nord et à l’ouest du continent : un atout important en pleine ruée vers l’or! Mais pour les habitants de la ville de Strathcona, le besoin le plus pressant était surtout de pouvoir traverser la rivière. Cette voie ferrée avait donc comme première mission de rouler sur le Low Level Bridge, construit en 1900, et de rejoindre ainsi le quartier Rossdale sur la rive nord.

Quatre ponts de bois ont été construits à cette époque pour soutenir le passage de la voie ferrée; le plus gros et le plus solide d’entre eux tient encore debout à la hauteur de la 76ème avenue et a été reconnu en tant que ressource historique par la ville en 2004.

La ligne de train de la E, Y & P n’ira cependant jamais au-delà des limites de la ville et sera finalement démantelée progressivement à partir de 1954 pour cesser complètement ses activités dans les années 1980, lorsque l’usine Gainers Meat Packing (entre les 77ème et 80ème avenues), la dernière industrie du ravin, fermera définitivement ses portes.

C’est également à ce moment-là que le chemin tracé par la voie ferrée sera converti en piste pédestre et cyclable. Si vous connaissez bien le ravin Mill Creek, vous l’avez certainement déjà emprunté : il s’agit de la piste large et bétonnée qui longe la berge ouest du ruisseau.

Ce sont également les années 1970 et 1980 qui verront les nombreuses initiatives citoyennes visant à sauver le ravin Mill Creek et à en préserver la vocation naturelle. Il est important de mentionner que, sans la mobilisation des résidents locaux, une autoroute aurait bien pu voir le jour en plein ravin Mill Creek! Heureusement, ce projet municipal annoncé dans les années 1960 fut annulé et, finalement, la décennie suivante, on mit de l’avant le projet de faire de la River Valley un grand parc naturel protégé. Au grand bonheur de tous et de toutes!

Marche pédestre, course à pied, patins à roues alignées, vélo, raquettes, tous les moyens sont bons et agréables pour parcourir ces espaces de verdure. En été, la piscine municipale Mill Creek ouvre ses portes aux baigneurs et, en hiver, le ravin devient le décor idéal pour les festivités extérieures du festival Flying Canoë Volant qui s’y déploie chaque année à début du mois de février. Près de 30 000 personnes profitent alors des installations lumineuses et des stations animées par des contes et des danses traditionnelles canadiennes-françaises, métisses ou autochtones.

Mais peu importe le temps de l’année ou l’heure du jour, il y a toujours de belles balades à faire dans le ravin Mill Creek.

Pour en apprendre plus à propos de l’histoire fascinante du ravin Mill Creek, je vous encourage fortement à écouter l’épisode du podcast La place qui lui est consacré :