À propos
Arnaud Barbet
Des Alpes françaises aux Rocheuses canadiennes, il n'y a qu'un pas. Voilà 9 ans maintenant que je sillonne cette nature fabuleuse avec toujours ce même sentiment de plénitude. J'aime me poser à Calgary et profiter de cette douceur de vivre. À vélo 365 jours par an, il m'arrive, lorsque la ville s'éveille, de rencontrer sur ma route des coyotes, des chevreuils, et bien sûr, mon ami le lièvre, alors je leur conte une histoire.
Lire ses articlesLa route 22 est l’âme de l’Alberta, du nord au sud, on y rencontre des ranchs et des cowboys. Au loin, à l’est, les prairies défilent, jaunies par l’été, à l’ouest les contreforts des Rocheuses, flamboyants au lever du soleil, timides et brumeux lorsque la chaleur est intense. Là, sur une petite route filant vers l’ouest, à une centaine de kilomètres de Calgary, se dresse le Ranch-Bar U, le témoignage historique et national de l’élevage du bétail au Canada.
À peine arrivé(e), vous remarquerez la rudesse de ce monde et l’héroïsme de ces « gars de l’Ouest ». La statue de Georges Lane, fameux propriétaire du Ranch-Bar U (1902-1927), notamment pour son travail avec les chevaux de race percheron, est éloquente. Elle le représente, attaqué par les loups, en octobre 1886, alors qu’il n’était qu’un simple employé du ranch. Quelques mètres plus loin, me voilà cent ans en arrière. J’entends les éperons de mon voisin taper le sol poussiéreux alors que j’ajuste mon Stetson. Le soleil du matin est doux et mordant, c’est une belle journée d’été.
Au loin, une odeur appétissante me titille. Comme à l’époque, je fais claquer mes bottes, ouvre la porte du « ventre du ranch » et aperçois Hanna. À la cuisine, elle concocte le repas du cowboy tout en me faisant vibrer des histoires d’antan. Je profite de l’instant pour chaparder un brownie au chocolat tout juste sorti du four.
L’ESPACE D’UN INSTANT ME VOILÀ COMME UN ENFANT DE 5 ANS ÉBLOUI PAR TANT DE GOURMANDISES. UN DÉLICE!
Revigoré par cette bouchée, je grimpe les escaliers 4 à 4 et admire le dortoir où j’aurais pu faire une petite sieste sans me soucier des longues heures passées à cheval à surveiller le bétail. De retour dans la salle à manger, je réalise l’empreinte laisser par ces Chinois qui, après la construction du chemin de fer, sont devenus cuisiniers ou blanchisseurs, comme le désirait la loi de l’époque. Les tables sont rondes avec, au milieu, ce plateau tournant, pratique et ingénieux.
Rassasié, je tente de traverser la rue principale. Halte-là! Le sol vibre sous le poids et l’élégance de ces percherons qui ont fait l’histoire du ranch. Devant moi, ils se dressent, puissants et vigoureux. Harnachés, ils sont prêts à parcourir les collines, suivre la silhouette des bovins pour le plaisir des visiteurs. Je les laisse s’évanouir sur la piste caillouteuse avant de reprendre mon chemin. Je m’arrête dans la remise pour aliments secs, fais son inventaire, me rafraichis dans l’entrepôt à glace, alors que les batteries de la génératrice continuent leurs ronronnements. Précurseur, le Ranch-Bar U a été le premier à produire de l’électricité et devenir autonome. Un exemple pour ce début de siècle.
À l’ombre, l’aventure m’attend
Le soleil est au zénith. Il est tant de trouver un peu d’ombre. Protégé par les vents grâce à une cavité naturelle, le ranch est aussi accoudé au ruisseau Pekisko. Celui-ci distribue la fraicheur, l’eau potable, et si la chance est là, offre du poisson frais à tous les cavaliers. Je passe le pont de bois et accepte les avances de Myriam et de son café noir. Accoudée à son chariot-cuisine, elle me sourit, m’invite à l’ombre sur un tronc asséché par la rudesse du climat. C’est l’heure du rassemblement des bêtes.
Après avoir chevauché des heures et des heures sous le soleil et réunis des milliers de têtes à longues ou courtes cornes, l’heure est au repos…Mais avant cela, le camp doit être installé. Tout le monde met la main à la pâte. Les fainéants n’ont pas leur place. Le feu doit être allumé, les chevaux placés dans le corral, les tentes montées pour ceux qui le désirent, à moins que l’on ne choisisse la belle étoile.
Myriam est québécoise, installée dans l’Ouest depuis de nombreuses années, elle ne manque pas d’anecdotes et souligne l’importance de son compatriote Fred Stimson. Directeur du ranch en 1881, il fut aussi le premier à envoyer des bovins vivants en Angleterre grâce à l’arrivée du Canadien Pacifique à Calgary. Une épopée défile sous mes yeux alors que mon esprit chevauche la prairie à la conquête de l’Ouest…
Le Ranch-Bar U au service de la communauté
Après une petite heure, il est temps pour moi de reprendre la route. Je salue Myriam qui me souhaite un bon voyage tout en me rappelant d’un ton grave que « ce ne sont pas les jouets qui font les boys ». Une façon bien à elle de me faire comprendre la rudesse des hommes des prairies. Je me dirige finalement vers le bureau de poste. Là, j’y retrouve un vieil ami, son portrait placardé sur le mur, Sundance Kid est toujours recherché. Devrais-je me méfier?
Peu importe, je dépose mon courrier et pars à la rencontre de Lewis. Lui, il est là depuis plus d’une vingtaine d’années. Dans son atelier à la maison des harnais, il travaille le cuir, répare les selles et les filets. Il forme aussi de jeunes apprentis pour que le métier perdure. Cette odeur de cuir est enivrante et sa dextérité exceptionnelle. Enjoué et enthousiaste, il me rend mon matériel comme neuf. Ce gars a des doigts de fée!
Le soleil descend sur les contreforts de la montagne, je ne dois pas trainer. Mais voilà, à l’entrée du restaurant, j’aperçois Bruce. Son Stetson vissé sur la tête, il a grandi ici, c’est la mémoire des lieux. Je commande un burger ; lui boit son café noir.
D’UN SIGNE DE LA MAIN, IL ME MONTRE L’IMMENSITÉ ET ENTAME SON RÉCIT. JE BOIS SES PAROLES, ACQUIESCE ET SOURIS.
Je me questionne aussi sur la présence de l’élevage dans cet ancien territoire autochtone, sur ces sacrifices humains de part et d’autre, du calvaire des Premières Nations et des bisons, de l’avant et l’après des barbelés.
Bruce à l’œil, il sait que j’ai du chemin à faire, mais il termine. Jamais je n’aurais voulu l’interrompre. Finalement rassasié, je le quitte sur une poignée de main virile, je sais tout. Je regarde ce territoire canadien avec fierté, et quitte les lieux, persuadé que nos cowboys ont sauvé l’Alberta des griffes du voisin américain.
Un grand merci à Sandra Codd et toute son équipe pour cet accueil extraordinaire. En cette fin d’été, de nombreux événements sont programmés, alors n’hésitez pas à devenir cowboy d’un jour au Ranch-Bar U!