À propos

Arnaud Barbet

Des Alpes françaises aux Rocheuses canadiennes, il n'y a qu'un pas. Voilà 9 ans maintenant que je sillonne cette nature fabuleuse avec toujours ce même sentiment de plénitude. J'aime me poser à Calgary et profiter de cette douceur de vivre. À vélo 365 jours par an, il m'arrive, lorsque la ville s'éveille, de rencontrer sur ma route des coyotes, des chevreuils, et bien sûr, mon ami le lièvre, alors je leur conte une histoire.

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Si vous cherchez une seule bonne excuse pour gravir l’escalier monumental du musée Glenbow, à Calgary, la voici : Alex Janvier : Maître autochtone de l’art moderne. Aujourd’hui et jusqu’au 9 septembre 2018, cette rétrospective enchante les yeux et les cœurs, tout en bouleversant les âmes de ceux qui veulent se perdre dans un dédale de couleurs et de formes éblouissantes.

Arrivé(e) au 2e étage du musée, vous n’aurez qu’à choisir votre chemin. Bien sûr, les œuvres sont présentées de façon chronologique, mais laissez votre œil vous guider, de nombreuses surprises vous y attendent. Cet artiste autochtone, dévoué aux droits humains, à la reconnaissance de la nation autochtone et de son art, offre une perspective globale et circulaire du monde qui l’entoure. Un format qu’il affectionne particulièrement.

JE M’ENGOUFFRE, PRIS DANS L’ASPIRATION DE CE CIEL VERTICAL, SOMBRE ET FLAMBOYANT, QUI SE DRESSE DEVANT MOI.

« Des corps célestes » pour l’artiste, une myriade d’étoiles à mes yeux. De toutes les tailles, de toutes les couleurs, des contrastes et des formes qui vous enivrent comme « le cycle de la vie », semble expliquer Greg Hill. Conservateur principal de l’art autochtone au Musée des beaux-arts du Canada, il est aussi le responsable de la mise en place de cette rétrospective. « Cela représente le continuum de la nuit et du jour, de la vie et de la mort, de la nouvelle vie. » Je reste médusé, comme un enfant, prêt à faire un vœu!

 

Crédit: Alex Janvier

Alex Janvier, un artiste hors normes

Après quelques minutes, je continue ce chemin inspirant. Il semble évident que cette rétrospective est un concentré non exhaustif de l’œuvre d’Alex Janvier. Mais d’où vient-il, et pourquoi cette rétrospective est-elle installée ici, au musée Glenbow?

À cette question, Jenny Conway Fisher, porte-parole du musée Glenbow, éclaire ma lanterne : « C’est un honneur d’accueillir cette exposition, organisée par le Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa. C’est la plus vaste et la plus complète à ce jour. Elle explore les soixante-cinq années de l’incroyable carrière de cet Albertain à la renommée mondiale. Né le 28 février 1935 dans la réserve Le Goff, réserve indienne de Cold Lake (maintenant Premières Nations de Cold Lake), Alex Janvier est l’un des artistes vivants les plus importants au Canada. Son travail et son activisme politique ont influencé de nombreux artistes canadiens et inspiré l’auditoire dans le monde entier. Alors, quelle fierté pour nous de le recevoir! »

Notons d’ailleurs, comme elle le souligne, que le fondateur du musée Glenbow, le philanthrope Eric Harvie, était l’un des premiers partisans et admirateurs de l’art d’Alex Janvier. Dans les années 1960, il a collectionné plusieurs de ses œuvres et depuis, beaucoup se sont ajoutées à la collection du musée. Alex Janvier est devenu l’un des artistes les plus emblématiques de l’Ouest canadien!

Un trésor de technique et de magie

Parcourant les trois salles qui lui sont dédiées, je suis émerveillé par la poésie du trait, l’utilisation des couleurs, le choix des supports, mais aussi par l’omniprésence des symboles. Aquarelle, huile, encre de chine, et j’en passe, il semble maîtriser l’univers.

 

Crédit: Alex Janvier
SON ATTACHEMENT AUX RITES ANCESTRAUX, AUX ESPRITS ET À LA TERRE M’ÉCLABOUSSE DE PLÉNITUDE.

Son osmose avec la nature, la faune et la flore au travers de ses toiles est une leçon d’humanité. Son pinceau danse avec légèreté, du figuratif timide à l’abstrait explosif, cette rétrospective n’oublie pas de nous signaler le parcours académique qu’il a suivi. Jetez un coup d’œil à ce nu recroquevillé visionnant la fresque monumentale du Musée canadien de l’histoire à Gatineau pour admirer son coup de crayon. Magie du génie!

Je n’ose imaginer la difficulté de choisir telle ou telle œuvre afin de représenter au mieux cet artiste prolifique. Cette lourde tâche fût celle de Greg Hill, et cela n’a pas été une mince affaire :

« Sélectionner seulement quelques œuvres…C’est à la fois joie et souffrance – joie dans l’expérience d’être en présence de plusieurs centaines d’œuvres d’art puissantes, et dans la douleur et l’agonie dans le processus d’élimination. Alex peint depuis plus de 65 ans. C’est beaucoup de travail. Cette sélection comprend beaucoup d’œuvres incontournables. Des œuvres qui renforcent le récit de la vie et des développements artistiques d’Alex à travers le temps tout en s’intégrant physiquement dans un espace défini. »

Si, comme moi, vous avez un goût particulier pour les messages politiques et historiques aux saveurs dénonciatrices, vous apprécierez sans aucun doute le Cultural Orphan Annie. Figuratif aux traits et aux couleurs simples et précises à la fois. Cet acrylique sur toile rectangulaire de petite taille, contraste avec un grand nombre de toiles immenses et éblouissantes qui l’accompagnent. Celui-ci semble représenter avec humilité une scène du quotidien dans les pensionnats indiens du milieu du 19e siècle. On peut imaginer la sœur catholique faire l’appel pour la classe, retrouvant face à elle de jeunes filles autochtones démunies de leurs apparats et finalement vêtues d’un même uniforme, coiffées de tresses similaires.

CETTE TOILE QUI DÉNONCE LES POLITIQUES ASSIMILATIONNISTES DES GOUVERNEMENTS DE L’ÉPOQUE ME SEMBLE FINALEMENT TRÈS ACTUELLE.

Néanmoins, comme le signale très justement Jenny Conway Fisher, il est impossible de résumer l’œuvre d’Alex Janvier à une seule toile : « De ses œuvres, impossible d’en choisir une seule, unique! Le style d’Alex Janvier est beau et exclusif. Chacune de ses peintures raconte une histoire et peut emmener le spectateur dans un voyage incroyable. » Elle conclut en signalant qu’une immense partie de son travail est visible par le public à travers les collections de nos nombreux musées nationaux, mais aussi grâce aux nombreuses installations d’art public à grande échelle. De la mosaïque “Iron Foot Place” dans le hall Ford du stade Rogers à Edmonton à l’immense fresque “Étoile du matin” au Musée canadien de l’histoire à Gatineau, c’est une invitation au voyage dans le monde d’Alex Janvier qui débute, ici, au musée Glenbow.