À propos

Jean-Pascal Morin

En m’envoûtant de ses belles montagnes et plaines à perte de vue, l’autre « Belle province » est devenue la demeure de mon clan il y a maintenant presque vingt ans, après m’être arraché du fond de ma baie en Gaspésie. J’essaierai au cours de mes interventions de vous apporter quelque chose à garder ou vous donner l’envie de visiter des sites bien et moins bien connus de chez-nous.

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C’était à une époque où le statut de province ne lui avait pas encore été conféré; on l’appelait simplement District of Alberta. L’endroit, poussé par la croissance de la demande en énergie des industries de l’est, avait attiré des milliers d’individus, de tous les milieux, qui vinrent s’établir dans ce lieu éloigné des Territoires du Nord-Ouest, où la prospection minière et les promesses d’une richesse instantanée étaient encore dans l’air du temps. Nous sommes en 1903 dans les Rocheuses, de petites bourgades s’accrochent avec peine aux flancs de montagnes percées de trous de mine, le plus près possible de la voie ferrée, lien vital et salutaire avec le monde.

La petite ville de Frank, située aujourd’hui dans le secteur de Crowsness Pass, dans le sud-ouest de l’Alberta, était l’une de ces villes champignons. Sommairement planifiée par une compagnie minière, la ville apparut à la base du mont Turtle en 1901, la « montagne qui bouge », comme l’appelaient les Premières Nations des environs. Frank comptait 600 habitants en 1903. Il y avait tout; de la blanchisserie au saloon, en passant par le barbier et la banque, une école à deux étages et quatre hôtels. Lucky Luke, le personnage de Morris et Goscinny, s’y serait senti chez-lui. Les quarts de travail s’y succédaient et des hommes étaient dans la mine à 4 heures 10 le matin fatidique.

Ils sentirent tout d’abord des secousses, qui s’amplifièrent, pour finalement se transformer en un assourdissant tremblement de terre, brisant les tréteaux et faisant s’effondrer les tunnels. Au bas de la pente abrupte de ce géant des Rocheuses, tous les habitants sont réveillés. Ils se rendent bien compte que ce qui se passe ne peut être que cataclysmique. En effet; 82 millions de tonnes de calcaire se dirigeaient vers eux à 112 kilomètres à l’heure. Il fallut 100 secondes à ce fléau pour atteindre les collines de l’autre coté de la vallée, recouvrant tout sur son passage d’un épais couvert de bloques de pierre, parfois de la taille de plusieurs maisons. Jamais personne n’avait eu à vivre une tragédie d’une telle ampleur, même ceux qui avaient bravé les océans et les éléments pour s’y rendre.

Un cheminot, conduisant un train qui quittait la gare au début de l’éboulement, fila à toute vapeur pour éloigner son convoi de minerai. Il immobilisa son engin sur le pont au-dessus de la rivière Crow et expliqua qu’il vit un énorme nuage de poussière recouvrir Frank, la vallée entière ayant été remplie. Les pertes sont catastrophiques.

D’ailleurs, les pertes humaines prêtent à discussion. Un groupe d’hommes voyageant vers l’ouest étaient campés sur le bord de la rivière. Ils étaient une vingtaine. Certains disent les avoir vus partir peu avant l’accident, d’autres qu’ils y étaient encore au moment de l’éboulement. Le lendemain, à midi, un groupe de mineurs, coincés depuis le début de l’éboulement, a réussi à se frayer un chemin jusqu’à la surface. Tout le monde les croyait morts. Des familles entières disparurent et il y avait peu d’espoir de sortir les miraculeux survivants, vu la taille des blocs de calcaire. De plus, la ligne de train était coupée, il fallut la dégager en premier pour pouvoir faire venir l’équipement qui servira à fouiller quelques sites. Malgré tout, Frank s’est reconstruite, la mine a repris ses activités, mais finalement, en 1917, la compagnie ferma la mine, la ville se vida de sa population qui partit chercher fortune ailleurs.

Aujourd’hui, en roulant à travers la magnifique région de Crowsness Pass, on ne peut qu’être ébahis par la puissance de la nature. Les cicatrices de cet évènement nous sautent aux yeux; les blocs de pierre de plusieurs fois la taille d’une maison, ou cette route, sculptée dans la tragédie elle-même, qui sillonne l’endroit. Les géologues ont depuis longtemps découvert l’origine de l’éboulement; une faille dans la couche de calcaire qui a été exacerbée par les activités minières. Une chose à laquelle on ne pensait peu jadis.

La ville de Frank n’existe plus, mais un centre d’interprétation de grande qualité a été construit sur son site, qui est aujourd’hui l’un des centres historiques officiels de la province. Ouvert à l’année, il est le point de départ de plusieurs randonnées pédestres, certaines jusqu’au sommet. Faites au moins la Frank Slide Trail de 1.5 km. La visite du centre et la petite randonnée durent environ 2 heures. Les guides sont des spécialistes qui vous expliqueront la totalité de ce que je vous ai raconté, mais bien plus encore. Vous apprécierez certainement cette expérience.